Par Margaux TRIPIER, Avocate collaboratrice
Le 06/02/2025
Le ton quelque peu racoleur de cet article appelle un démenti introductif : le terme « 1 % logement » désigne la participation à l’effort de construction (PEEC) due par les employeurs depuis sa création en 1953.
En effet, si l’expression persiste, le taux initial de 1% a sensiblement été réduit, depuis 1992, à 0,45% de la masse salariale.
Ainsi, tout employeur de plus de 50 salariés doit consacrer 0,45 % de sa masse salariale brute au profit de :
Les employeurs ont jusqu’au 31 décembre de l’année N, au titre des salaires versés en N-1, pour réaliser ces différents investissements et peuvent, le cas échéant, reporter l’excédent éventuel sur les exercices suivants (c. constr. et hab, art. L313-1 4e al.).
A défaut de réaliser de tels investissements dans ce délai, les employeurs sont alors assujettis à une cotisation au taux majoré de 2 % à raison des salaires pour lesquels l’obligation d’investissement n’a pas été respectée (c. constr. et hab. art. L. 313-4 ; CGI art. 235 bis, anc.).
Ainsi, cette cotisation est due par les employeurs qui se sont « abstenus » – pour reprendre les termes de l’administration dans sa doctrine – de procéder aux investissements auxquels ils étaient tenus ou qui ont effectué des versements insuffisants.
Et, les abstentionnistes ayant toujours torts, c’est donc bien 4,44 fois l’investissement initialement dû (et non simplement « le double » comme à l’origine, lorsque le taux initial était de 1%) que les employeurs doivent alors s’acquitter spontanément avant le 30 avril de l’année N+1 (c. constr. et hab. art. L. 313-4 et R. 313-3).
Ainsi, pour reprendre l’exemple fourni par Action Logement : « la pénalité appliquée à un versement de 10.000€ le fait passer à 44.444€. »
Or, cette « abstention » n’est pas de facto une omission volontaire mais résulte bien plus raisonnablement – au vu de l’enjeu financier de cette « pénalité » – d’une simple erreur qui s’avère particulièrement coûteuse pour l’employeur de bonne foi.
En effet, pour prendre le cas typique d’exigibilité de la cotisation exposé par l’administration fiscale :
Ainsi, ne pas avoir pris les mesures pour réinvestir ces sommes dans ce court laps de temps assujettira l’employeur à la cotisation de 2% sur les remboursements perçus.
Par ailleurs, l’employeur sera également soumis à cette cotisation si les investissements ne respectent pas les formes ou les conditions fixées par la réglementation tels que :
Enfin et surtout, tout versement simplement tardif de participation, même seulement quelques jours après le 31 décembre, justifie, ipso facto, l’exigibilité de la somme majorée du coefficient de 4,44.
Le contribuable malencontreux pourra alors vivre cette situation comme une injustice, qui plus est à l’heure de la promotion du « droit à l’erreur ».
Pourtant, la jurisprudence française affirme itérativement que la cotisation de 2 % ne constituerait pas une « sanction ayant le caractère d’une punition » (voir ég. TA de Paris, 1re section – 3e chambre, 19 juillet 2024, n° 2210736 : pour un refus d’application du droit à l’erreur pour la cotisation de 2%).
Or, par là-même, la jurisprudence dénie donc au contribuable la protection de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et notamment, le principe de proportionnalité des peines.
Les juges ont pu tenter de justifier leur position en arguant que :
Si l’on peut (doit ?) se réjouir que les juges confirment que l’administration fiscale se doit de respecter la loi ; l’on peine à y trouver une justification du refus de qualification de « sanction » de ce seul fait, qui plus est dans un Etat de droit…
Surtout, peut-on raisonnablement affirmer qu’un contribuable auquel la cotisation est réclamée a postériori par l’administration fiscale, a délibérément « opté » pour payer 4,4x plus que l’addition, aussi noble que soit la cause de l’amélioration de l’habitat des salariés ? Sachant à ce titre, que la cotisation alors due au Trésor, au contraire des participations supplémentaires versées volontairement par les employeurs, n’alimente pas le fonds pour le logement géré par Action Logement (c. constr. et hab. art. L.313-19-2).
Pourtant, et alors même qu’Action Logement qualifie elle-même la cotisation de « pénalité » (cf. supra), les sages de la rue de Montpensier ont, depuis, et sous un angle différent, validé la solution des juges du fond. Or, là aussi, le raisonnement emprunté peine tout autant à nous convaincre tant il tend à la pétition de principe.
Ainsi, selon le Conseil constitutionnel, la cotisation de 2% ne constituerait pas une sanction ayant le caractère d’une punition mais simplement un impôt dans la mesure où :
Or, l’assiette des participations et de la cotisation sont strictement les mêmes, à savoir, les salaires versés en année N-1.
Et, pour un même fait juridique (le versement des salaires), la seule circonstance que le fait générateur d’une somme (la cotisation) soit, comme tout manquement justifiant l’exigibilité d’une sanction pour retard de paiement, le non-versement d’une autre somme (les participations) à l’expiration d’un délai initial confirme, au contraire, selon nous, la qualification de sanction de cette seconde somme.
Les participations et la cotisation étant toutes deux exigibles du fait de la loi (et au sein du même code depuis 2020), le fait qu’elles soient recouvrées par deux entités distinctes – à savoir Action Logement en tant que « subvention », puis l’administration fiscale en tant qu’ « impôt » – ne saurait justifier davantage la position adoptée par les juges (c. constr. et hab. art. L.313-4, substituant l’article 235 bis du CGI).
En effet, faut-il le rappeler, la qualification de « sanction » ne saurait être évitée par le seul fait qu’un Etat a a adopté un arsenal juridique « non pénal » pour sa répression.
Surtout, selon la jurisprudence elle-même, le propre d’une sanction est d’empêcher la réitération des agissements qu’elle vise et de ne pas avoir pour seul objectif la réparation d’un préjudice pécuniaire.
Or, le constat apparait ici sans appel :
Peut-on raisonnablement affirmer que le préjudice de l’Etat (au sens large, dans le sens où l’obligation de versement à Action Logement ressort bien d’une exigence légale) lié au passage du nouvel an doit être réparé par l’application automatique et minimum d’un coefficient de plus de 4 ?
Et, le fait de se retrouver à payer le quadruple de la somme initiale n’a-t-il pas vocation à inciter le contribuable à être, à l’avenir, très vigilant dans la réalisation des investissements dus au titre de la PEEC ?
Mais, d’aucuns plus sachants soulignaient déjà bien avant nous l’équivoque de la position du Conseil constitutionnel entre les notions d’impôt incitatif et de « réelle » sanction : « lorsque le législateur édicte un impôt dans le but explicite de dissuader un comportement donné, […] la stigmatisation fiscale de certains actes a pour fonction d’empêcher la commission ou la réitération de certains actes, ce qui constitue précisément la définition de la sanction au sens du droit constitutionnel » (Daniel GUTMANN, « Sanctions fiscales et Constitution », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 33, Dossier : le Conseil constitutionnel et l’impôt, octobre 2011).
Au cas particulier de la PEEC, cette ambiguïté conduit à un résultat pour le moins contre-intuitif, notamment pour l’employeur qui aurait un doute sur la détermination de l’assiette des rémunérations assujetties : il est en fait préférable de payer plus d’abord – et sécuriser ainsi un taux de 0,45% – pour être sûr de ne pas payer beaucoup plus après – et ainsi éviter la quadruple peine du taux de 2%.
Or, même dans une telle hypothèse d’un surplus de participation, l’employeur voulant alors récupérer l’indu versé au taux de 0,45% se devra d’être vigilant. En effet, la jurisprudence considère que cette somme n’a pas la nature d’une « créance fiscale » et son remboursement ne peut donc être réclamé devant le juge de l’impôt (CAA Douai 23-10-2018 n° 17DA00662, SAS Sopres Interim ; CAA Lyon, 5e ch. – formation à 3, 9 juin 2022, n° 20LY00384).
De sorte que dans l’hypothèse d’un versement spontané mais tardif à Action Logement quelques jours après le 31 décembre, l’employeur se retrouvera dans une situation de :
Et, l’administration fiscale au titre du contrôle de l’année N ne tiendra pas compte de ce trop versé qui ne pourra donc être compensé avec les rappels notifiés par cette dernière.
De sorte que force est, à nouveau, de constater que vigilance est de mise pour les employeurs dans la réalisation de leur obligation d’investissements. Mais, fort heureusement des moyens de contestation subsistent pour tenter de réduire, le cas échant, l’addition particulièrement salée pour les contribuables se retrouvant devoir acquitter cette « cotisation » majorée.