Par Margaux Tripier, Avocate collaboratrice
Le 10/09/2024
Les difficultés liées à la détermination du taux de TVA applicable à une opération ne sont pas nouvelles mais bien récurrentes. La Directive européenne du 5 avril 2022 ayant vocation à simplifier et uniformiser les taux réduits de TVA applicables au sein des Etats-membres en est un exemple patent (Directive (UE) n° 2022/542).
Ces difficultés sont d’autant plus déterminantes dans le cadre d’opérations soumises à la procédure légale de passation des marchés publics.
En effet, dans ce domaine les décisions de jurisprudence relatant des errements sur le taux, ou plus généralement le régime, de TVA applicables à l’objet d’un marché public sont nombreuses et peuvent entrainer des conséquences multiples pour les parties prenantes à la procédure de passation.
Coté acheteur, le Conseil d’Etat a ainsi récemment affirmé que ne commet pas de modification irrégulière justifiant une annulation du marché, l’acheteur qui corrige une erreur de taux de TVA dans l’offre du candidat déclaré attributaire, après avoir dûment demandé à l’opérateur concerné de rectifier son offre (CE, 24 nov. 2023, n° 476301, Sté Guyot Environnement).
Côté candidat, réciproquement, l’erreur dans le choix du taux de TVA applicable à l’offre est, à défaut de demande de régularisation de l’acheteur, alors non-régularisable.
En effet, un acheteur n’est pas tenu d’inviter le candidat à régulariser son offre, entre autres, concernant le taux de TVA appliqué à celle-ci. Le cas échéant, l’erreur dans la détermination du taux de TVA ne constituant pas une simple erreur matérielle, le candidat évincé ne peut pas contester le rejet de son offre qualifiée alors d’irrégulière et, partant, ne peut utilement s’opposer à l’attribution du marché duquel il a été évincé (v. not. TA de Nîmes, 17 avril 2023, n° 2301120).
Des difficultés surviennent également lorsque l’erreur sur le taux de TVA applicable est imputable à l’acheteur. Ainsi, lorsque le pouvoir adjudicateur invite le candidat à régulariser son offre en l’invitant à appliquer un taux de TVA inférieur à celui présenté initialement dans l’offre, le candidat sera face à un dilemme « publico-fiscal ».
Une première solution consiste à maintenir le taux de TVA initialement proposé, dans la mesure où le candidat estime qu’il s’agit du seul taux légalement applicable à l’objet du marché : il encourt alors le risque d’être évincé de la procédure de passation.
En effet, le critère prix est souvent déterminant dans la pondération des offres, et l’outil de notation récemment mis à disposition par la DAJ invite ses utilisateurs à renseigner des montants « TTC » (cf. guide publié en mars 2024 par la Direction des Affaires juridiques du ministère de l’Économie et des Finances sur les méthodes de notation du critère prix dans les marchés publics).
Notons que le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu’il a définis et rendus public, et partant est libre de comparer les prix sur une base hors taxes ou TTC.
Cette liberté trouve toutefois sa limite dans le respect pour des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures (article L.3 du Code de la commande publique).
Ainsi, la méthode de notation du critère du prix doit permettre d’attribuer la meilleure note au candidat ayant proposé le prix le plus bas et la méthode choisit ne doit pas, par elle-même être de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et être alors, susceptible de conduire à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l’ensemble des critères pondérés, à ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie (CAA Toulouse, 3e ch., 19 mars 2024, n° 22TL20276, pour une comparaison irrégulière sur une base TTC).
Aussi, en présence de disparité des taux de TVA proposés par les candidats, l’acheteur devra alors s’interroger sur la conformité d’une méthode de comparaison sur une base TTC aux principes de la commande publique, qui commanderaient alors plutôt de comparer les prix pour leurs montants hors taxes (v. TA de Paris, 9 novembre 2009, n° 0916859, pour une comparaison régulière sur une base HT en présence de disparité de taux de TVA des offres ; v. ég. CAA de BORDEAUX, 2ème ch., 15 novembre 2016, 15BX00253 ; TA de Melun, 23 janvier 2023, n° 2300113).
Sachant, par ailleurs, que côté candidat, une erreur sur le régime de TVA applicable conduisant à une appréciation inexacte du coût d’un achat par le pouvoir adjudicateur n’est pas, en elle-même, constitutive d’un vice du consentement, moyen d’ordre public invocable par les tiers tels que les concurrents évincés, pouvant justifier l’annulation d’un marché (CE, 9 nov. 2018, n° 420654, Sté Cerba).
Dès lors, en cas de doutes sur le taux de TVA applicable à la lecture des documents du marché, les candidats ont tout intérêt à éclaircir ce sujet, dès la phase de négociations ou, à défaut, au travers de questions formulées dans les conditions et délais prévues par dans la procédure.
Devant ce dilemme, et à défaut d’avoir obtenu de réponse satisfaisante du pouvoir adjudicateur lors des négociations, une seconde solution pour le candidat serait de s’aligner sur le taux de TVA suggéré par l’acheteur : il n’altère alors pas ses chances d’attribution du marché mais se met en risque pour l’avenir, cette fois, vis-à-vis de l’administration fiscale.
En effet, une fois les mailles de la procédure de passation passées, l’erreur sur le taux de TVA applicable peut toujours être relevée par l’administration fiscale lors d’un contrôle fiscal du candidat attributaire.
Dans ce cas, si l’administration considère qu’un taux de TVA supérieur à celui facturé par l’attributaire aurait dû être appliqué, les rappels de TVA notifiés seront calculés en dedans du prix effectivement encaissé auprès de l’acheteur (CE 14 décembre 1979, n° 11798, Comité de propagande de la banane) :
Dans une telle hypothèse, l’attributaire, qui souhaiterait rétablir la rentabilité initiale de ce marché (et bénéficier ici d’une rémunération de 120€ HT et non de 110€), ne sera pas libre de répercuter la majoration du taux de TVA sur le pouvoir adjudicataire : il pourra seulement négocier celle-ci dans les documents contractuels du marché, dans la mesure où une telle hypothèse procédurale est ouverte.
En synthèse, vigilance fiscale est de mise pour toutes les parties intéressées à la passation de marchés publics ; l’économie des méandres liées à la détermination du taux de TVA applicable pouvant s’avérer risquée pour chacun d’eux.