Earth Avocats

L’allié de vos projets

Traitement de l’erreur purement matérielle : droit à l’erreur ou rigueur, telle est la question

Par Baptiste JAFFRE, Avocat collaborateur 

Le 13/02/2025

TA Nîmes, 28 janvier 2025, société Froid Cuisine Hérault, n°2405036

 

Est-il possible d’ajouter 100 m² de cloisons oubliées par erreur dans le cadre d’une demande de précisions au titre d’une offre potentiellement anormalement basse ? Non, répond le Tribunal administratif de Nîmes.

 

Les faits

Dans le cadre la passation d’un lot « cloisonnement et faux plafonds isotherme » la communauté de communes de Petite Camargue relevait que la proposition financière de la société Froid Cuisine Hérault divergeait sensiblement de ses estimations puisqu’elle se trouvait inférieure de 28% par rapport à son évaluation et de 23% par rapport à l’offre de l’attributaire et lui adressait dès lors une demande de précisions et de justifications conformément aux dispositions de l’article L.2152-6 du code de la commande publique relatif au traitement des offres anormalement basses.

Point important à souligner, la demande de la communauté de communes imposait à la société « de ne pas modifier les caractéristiques substantielles de – son – offre (dont le montant et les quantités chiffrées) en réponse à la présente demande et de – s’- en tenir à la justification du montant de – son – offre et à la réponse aux questions ».

Or, dans sa réponse, la société requérante faisait valoir qu’elle avait omis, par erreur, 100 m2 de cloisons. Aussi, elle décidait d’ajouter la surface manquante mais sans toutefois modifier son prix global et forfaitaire.

La question qui se posait était donc celle de savoir si, sur le fondement de l’existence d’une erreur purement matérielle, la société requérante pouvait modifier son offre sans pour autant porter atteinte au principe d’intangibilité des offres.

 

Sur le fond

D’emblée, on rappellera qu’au titre d’une jurisprudence désormais établie, l’erreur purement matérielle se définit comme une erreur tellement grossière qu’aucune des parties ne pourrait s’en prévaloir de bonne foi (CE, 26 novembre 1975, société Entreprise Py, n° 93297).

Dans un arrêt plus récent, le Conseil d’Etat a par exemple admis que la correction d’un prix de 22 € à 220 € ne visait qu’à la rectification d’une erreur purement matérielle et que cette modification ne portait pas atteinte au principe d’intangibilité des offres (Conseil d’État, 21 septembre 2011, Département des Hauts-de-Seine, n° 349149).

Dans la mesure où, si elle était établie, le principe d’une erreur matérielle est qu’aucune partie ne peut s’en prévaloir de bonne foi, on peut légitimement en déduire que, lorsqu’un acheteur décèle l’existence d’une possible erreur matérielle dans l’offre d’un candidat, il doit la mettre en mesure de la rectifier, à plus forte raison si ce candidat dispose de chances sérieuses de l’emporter.

En ce sens, il ressort par exemple de la jurisprudence « Département des Hauts-de-Seine » précitée du Conseil d’Etat que l’acheteur qui élémine l’offre d’un candidat, laquelle contient une erreur matérielle sans l’avoir mis en mesure de la corriger, manque à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

En l’espèce, la communauté de communes de Petite Camargue s’étonnait du prix de la société Froid Cuisine Hérault qui était sensiblement inférieur à son estimation. Aussi, elle la sollicitait afin d’obtenir un complément d’informations tout en lui indiquant dans sa demande qu’elle ne devait en aucun cas modifier les caractéristiques essentielles de son offre et de s’en tenir à l’apport des réponses sollicitées.

La société requérante, sous l’impulsion de l’acheteur, s’aperçoit alors en réexaminant son offre qu’elle a omis 100 m2 de surface de cloisons.

Constatant son erreur, la société requérante décide par conséquent d’ajouter à son offre technique les surfaces manquantes mais sans modifier son prix, décidant sans doute de prendre à sa charge les conséquences de son erreur dans une démarche commerciale et de bonne foi.

Elle ne s’attendait probablement pas à ce que sa démarche conduise à l’exclusion de son offre.

En effet, en ayant ajouté les surfaces manquantes mais sans modifier son prix global et forfaitaire, il a été estimé qu’elle avait alors irrégulièrement modifié son offre et ainsi méconnu le principe d’intangibilité de l’offre :

« En ajoutant ainsi, sans y avoir été invitée par le pouvoir adjudicateur qui lui avait, au contraire, expressément interdit d’y procéder, une quantité de métrés qui ne figurait pas dans son offre initiale, sans en modifier le prix global et forfaitaire, la société Froid Cuisine Hérault ne s’est pas bornée à rectifier une erreur purement matérielle d’une nature telle que nul ne pourrait s’en prévaloir de bonne foi dans l’hypothèse où son offre aurait été retenue mais l’a complétée en méconnaissance du principe d’intangibilité de l’offre »

 

Autrement dit, dans une réalité alternative, sa modification aurait pu être acceptée si elle avait également ajusté son prix en fonction des surfaces ajoutées.

Si la solution retenue par le Tribunal administratif marque une application stricte du principe d’intangibilité de l’offre, on peut toutefois s’étonner, voire regretter, que la formulation de la demande d’informations et de justifications adressée par la communauté de communes de Petite Camargue n’ait pas d’avantage été débattue.

En effet, et même si l’ordonnance ne donne pas une lecture complète de cette demande, force est d’admettre que sa formulation très restrictive a sans doute jouer un rôle sur la réponse apportée par la société requérante qui a sûrement cru qu’elle ne pouvait pas modifier son prix même si elle corrigeait les quantités afin « de ne pas modifier les caractéristiques substantielles » de son offre.

En tout état de cause, on peut s’étonner qu’il n’ait pas été davantage recherché dans quelle mesure la communauté de communes de Petite Camargue n’a pas manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en ne mettant pas explicitement la société Froid Cuisine Hérault en mesure de corriger son erreur, à plus forte raison dès lors qu’elle en eu confirmation, au travers de la réponse apportée par cette dernière, de l’existence d’une erreur présentant toutes les caractéristiques d’une erreur purement matérielle.