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Insert de cheminée et garantie décennale : un revirement de jurisprudence inattendu

Par Margaux BEUREY, Avocate of counsel

Le 09/04/2024

Cour de cassation, 21 mars 2024, n°2218694

 

Par sa décision en date du 21 mars dernier[1], la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence inattendu concernant le régime applicable aux éléments d’équipement.

En l’espèce, deux époux ont fait réaliser des travaux d’installation d’un insert dans la cheminée de leur maison. Par la suite, un incendie est survenu au droit de la cheminée, occasionnant la destruction de la maison et de son mobilier.

Estimant que ce sinistre était imputable à l’installation de l’insert de cheminée, les époux et leur assureur ont assigné la société en charge de l’installation de l’insert et son assureur aux fins d’indemnisation.

En application de la jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis 2017, la Cour d’appel de MONTPELLIER[2] a estimé que les travaux de pose d’un élément d’équipement tel un insert relevaient de la garantie décennale des constructeurs dès lors qu’ils rendaient l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination. Elle a ainsi condamné la société et son assureur à indemniser les époux de leur entier préjudice sur le fondement de l’article 1792 du Code civil.

En effet, par une décision du 15 juin 2017[3], confirmée le 14 septembre 2017[4], la Cour de cassation avait opéré un revirement de jurisprudence sur le jeu de la garantie légale des constructeurs en cas de travaux sur existant, considérant que « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ».

Il s’agissait alors, d’une part, d’uniformiser les garanties, en appliquant la garantie décennale, dès lors que l’élément d’équipement rendait l’ouvrage impropre à sa destination, peu important qu’il soit d’origine ou installé sur l’existant.

D’autre part, il y avait une volonté de protéger les maîtres d’ouvrage, généralement profanes, réalisant des travaux de rénovation ou d’amélioration de leurs logements, la garantie décennale permettant de rallonger le délai de recours à l’encontre du constructeur et d’augmenter les chances d’indemnisation par l’assureur du constructeur même en cas d’insolvabilité de l’entrepreneur.

Il n’était donc pas nécessaire de démontrer la qualification d’ouvrage de l’installation d’un équipement. Il suffisait que les désordres affectant les éléments d’équipement rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.

Cependant, l’assureur condamné a interjeté appel de la décision rendue par la Cour d’appel de MONTPELLIER, permettant ainsi à la Cour de cassation de faire un rétropédalage inattendu par rapport à 2017.

En effet, elle considère désormais que, si les éléments d’équipements installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs.

Aux termes de son arrêt du 21 mars 2024, la Cour de cassation a justifié sa décision, estimant que sa jurisprudence initiée en 2017 relative au régime des éléments d’équipement n’avait pas atteint les objectifs souhaités.

La Haute juridiction recentre donc le débat sur la qualification d’ouvrage en tant que tel, ce qu’elle avait initialement abandonné.

La garantie décennale ne sera susceptible de s’appliquer que pour les dommages de nature décennale affectant l’un des éléments d’équipement d’origine de l’ouvrage, conformément aux dispositions de l’article 1792 du Code civil[5].

Il est à noter que cette jurisprudence s’applique aux affaires en cours, et ce, au préjudice des maîtres d’ouvrage ! L’objectif de 2017 est donc bel et bien délaissé par la Cour de cassation…

 

 

[1] Cour de cassation, 21 mars 2024, n°2218694

[2] Cour d’appel, Montpellier, 4e chambre civile, 20 avril 2022 – n° 19/04078

[3] Cass. 3e civ. 15 juin 2017, n° 16-19640

[4] Cass. 3e civ. 14 septembre 2017, n° 16-17323

[5] Article 1792 du Code civil : « Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. »