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Violences urbaines et commande publique : quels sont les apports de l’ordonnance n°2023-660 du 26 juillet 2023

Par Baptiste JAFFRE, Avocat collaborateur

Le 10/10/2023

 

Immédiatement après la promulgation de la loi n° 2023-656 du 25 juillet 2023 relative à l’accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023, a été publiée, sur la base de son article 2, l’ordonnance n° 2023-660 du 26 juillet 2023 portant diverses adaptations et dérogations temporaires en matière de commande publique.

Si cette ordonnance brille sans conteste par son apparente simplicité, sa lecture attentive amène toutefois plusieurs questionnements.

A notre sens, la première interrogation qui se pose est d’ordre général quant à l’opportunité même de prévoir de telles dérogations au droit de la commande publique.

En effet, et si tant est qu’il soit besoin de le rappeler, le code de la commande publique prévoit d’ores et déjà des dispositifs permettant de déroger aux obligations de publicité et de mise en concurrence afin de faire face à des circonstances exceptionnelles.

Ainsi, l’article R.2122-1 du code de la commande publique dispose notamment que :

« L’acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsqu’une   urgence impérieuse résultant de circonstances extérieures et qu’il ne pouvait pas prévoir ne permet   pas de respecter les délais minimaux exigés par les procédures formalisées. »

Par ailleurs, et indépendamment de circonstances exceptionnelles, lorsque le besoin n’excède pas un certain seuil (40 000 euros pour les marchés de fournitures et de service et 100 000 euros pour les marchés de travaux), l’acheteur n’est pas tenu de mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence et peut conclure un marché de gré à gré.

Toutefois, il semble qu’aux yeux du Gouvernement ces dérogations n’étaient a priori pas suffisantes ou satisfaisantes pour permettre aux acheteurs de surmonter sereinement les difficultés nées des émeutes.

A ce titre, l’étude d’impact rendue sur le projet de loi considérait que les obligations de publicité et de mise en concurrence pouvaient « être perçues dans certaines circonstances comme des freins à l’efficacité de l’action publique » et qu’il était donc « nécessaire de prévoir un levier supplémentaire permettant d’accélérer et de simplifier les procédures de passation des marchés de travaux réfection et la reconstruction des bâtiments et équipements publics afin de rétablir dans les meilleurs délais la continuité et le fonctionnement normal des services publics. ». Les délais de publicité seraient ainsi trop longs et formeraient un obstacle à une reconstruction efficace ce dont on peut douter.

Ensuite, même si pour ce qui est du recours aux dispositions de l’article R.2122-1 précité l’appréciation de la condition d’urgence doit se faire au cas par cas, les nombreux dégâts provoqués par les émeutiers nous semblaient pouvoir aisément relever de ce dispositif. En procédant par voie d’exception, il est permis de se demander dans quelle mesure est-ce que le Gouvernement n’a pas découragé les acheteurs d’avoir recours à ces dispositions en donnant l’impression que les travaux de réparation nécessitaient une nouvelle procédure exceptionnelle.

S’agissant des apports de l’ordonnance du 26 juillet 2023, son article 1er dispose que :

« Peuvent être négociés sans publicité mais avec mise en concurrence préalable les marchés de travaux soumis au code de la commande publique nécessaires à la reconstruction ou à la réfection   des équipements publics et des bâtiments affectés par des dégradations ou destructions liées aux   troubles à l’ordre et à la sécurité publics survenus entre le 27 juin et le 5 juillet 2023 et répondant à   un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 1 500 000 d’euros hors taxes.

Ces dispositions sont également applicables aux lots dont le montant est inférieur à 1 000 000 d’euros hors taxes, à la condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots. »

L’ordonnance introduit ainsi une procédure inédite prévoyant une mise en concurrence mais sans publicité préalable ce qui amène à se poser plusieurs questions :

  • Sur quelle base l’acheteur sélectionne-t-il les opérateurs qu’il entend mettre en concurrence ?
  • Que faire si, d’initiative et sans qu’il y ait été invité, un opérateur souhaite participer à la mise en concurrence ?
  • Un opérateur qui n’aurait pas été convié à participer à la procédure de mise en concurrence pourrait-il tout de même en tirer un intérêt lésé dans le cadre d’un référé précontractuel ou d’un recours au fond (alors même que les chances de succès de telles procédures sont limitées déjà en MAPA) ?
  • Si, comme l’explique l’étude d’impact, les mesures de publicité sont perçues comme des freins par les acheteurs pour faire face aux dégradations liées aux émeutes, mais qu’en même temps la condition de l’urgence de l’article R.2122-1 du code de la commande n’est pas satisfaite puisque c’est cette hypothèse que l’ordonnance semble vouloir couvrir, n’aurait-il pas été préférable de maintenir l’obligation de publicité quitte, le cas échéant, à l’assouplir, pour autant que cela eut été pertinent, de manière à se prémunir contre les interrogations précédentes ?

La simple dérogation aux obligations de publicité nous parait avoir qu’un bénéfice limité sur les délais des procédures au regard des délais de publicité des marchés passés selon une procédure adaptée.

Ainsi, nous doutons que l’élan simplificateur proposé par l’ordonnance du 26 juillet 2023 le soit réellement et il est permis de se demander s’il n’aurait pas été plus opportun de simplement appliquer les dispositions existantes du code de la commande publique en instaurant, par exemple, une présomption d’urgence pour les bâtiments ayant souffert d’une dégradation importante les empêchant d’assurer leur mission de service public. Un tel dispositif aurait eu le mérite de rassurer les acheteurs, tout en assurant la sécurité des procédures et aurait véritablement permis de faire gagner du temps aux acheteurs dans la conclusion des contrats de réparation ou de reconstruction.

Ensuite, et outre la suppression des mesures de publicité, nous nous interrogeons sur le plafond prévu par l’ordonnance. En effet, quitte à prévoir des dérogations pour les marchés dont les besoins sont inférieurs aux seuils des procédures formalisées, on aurait pu s’attendre à ce que l’ordonnance aille jusqu’au bout de la démarche en se calant sur les seuils des procédures formalisées. Certains élus regrettent d’ailleurs un tel plafond qu’ils jugent trop bas à l’image par exemple de Benoit Jimenez, maire de Garges-lès-Gonnesse, qui plaidait auprès de la Première ministre pour une revalorisation de ce seuil à hauteur de 3 millions d’euros.

Dans sa tentative d’équilibriste pour chercher à concilier au mieux divers intérêts dans un contexte si particulier, l’ordonnance du 26 juillet 2023 donne l’image d’un dispositif de principe mais hésitant.

A l’inverse de ce qui précède, les exceptions apportées par les articles 2 et 3 de l’ordonnance au principe d’allotissement et facilitant le recours au marché de conception-réalisation sont on ne peut plus claires et n’appellent, de ce fait, pas de remarques particulières bien que l’on puisse craindre qu’elles ne soient pas particulièrement favorables aux PME/TPE.