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Un montage contractuel impliquant la conclusion d’une promesse d’achat et d’une convention de subvention en vue de la réalisation d’un ouvrage requalifié en marché de travaux

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Par Rémi JABAKHANJI, Avocat collaborateur

Le 08/11/2024

CJUE, 17 octobre 2024, NFŠ a. s./République slovaque, Aff. n° C-28/23

 

La Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») a jugé qu’un ensemble contractuel liant un pouvoir adjudicateur à un opérateur économique, composé d’un contrat de subvention et d’une promesse d’achat pour la réalisation d’un stade de football, répondant aux besoins formulés par le pouvoir adjudicateur, constitue un marché public de travaux, compte tenu notamment de son caractère synallagmatique (critère de l’onérosité).

 

i. Caractéristiques et contestation de la régularité du montage contractuel

En vue de réaliser le projet de construction du stade national de football, le ministère de l’Éducation slovaque a conclu, sans mise en concurrence, avec la société Národný futbalový štadión (devenue « NFŠ »), une convention de subvention définissant les conditions d’octroi et les conditions de construction de l’ouvrage.

À l’appui de cette convention de subvention, le ministère de l’ Éducation s’est engagé à verser à la société NFŠ une subvention de 27 200 000 € tirée du budget de l’État en vue de procéder à la construction dudit stade. La société NFŠ s’est quant à elle engagée à financer au moins 60 % des coûts de la construction.

Trois ans plus tard, le ministère de l’Éducation a conclu (en tant que futur acquéreur), avec la société NFŠ (en tant que futur vendeur), une promesse d’achat fixant les conditions de la conclusion du contrat de cession du stade national de football slovaque. La CJUE relève que cette promesse d’achat comprenait, dans ses annexes, des spécifications techniques détaillées et les paramètres matériels de ce stade.

La Cour note par ailleurs qu’un avenant ultérieur à la convention de subvention a supprimé la possibilité prévue au profit du Slovenský futbalový zväz (Fédération slovaque de football), d’utiliser gratuitement certains locaux du même stade.

L’entrée en vigueur effective de la promesse d’achat était subordonnée au respect de certaines conditions suspensives, dont le constat, par la Commission, que la subvention et cette promesse constituent une aide d’État compatible avec le marché intérieur, au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

Dans une décision datant de 2017, la Commission européenne a constaté que tel était le cas^1  .

Cela étant, la convention de subvention et la promesse d’achat ont fait l’objet de plusieurs procédures judiciaires. La société NFŠ a notamment introduit une demande visant à établir le contenu de la promesse d’achat en ce qui concerne la détermination du prix d’achat, afin d’exercer l’option, prévue en sa faveur par cette promesse, de vendre le bâtiment construit.

À cette occasion, la société NFŠ a fait valoir que la promesse d’achat est valable et ne constitue pas un marché public, car elle n’établit pas une obligation exécutoire de réaliser des travaux, dès lors qu’il ne constitue pas un contrat à titre onéreux.

Au contraire, le ministère de l’Éducation soutient que ce montage doit être qualifié de marché public, dès lors que :

  • le contrat de subvention et la promesse d’achat constituent un ensemble complet de droits et d’obligations réciproques, qui vise intentionnellement, en raison de l’absence de mise en concurrence, à contourner la législation slovaque applicable en matière de marchés publics ;
  • en particulier, la promesse d’achat aurait un caractère onéreux, manifesté par les modalités de détermination du prix d’achat qu’elle prévoit (eu égard aux conditions de fixation du prix d’achat de l’ouvrage) ;
  • le ministère a exercé une influence déterminante sur le projet du stade national de football slovaque qui, en vertu du contrat de subvention, doit répondre :

o aux exigences de l’UEFA sur l’infrastructure des stades ;

o aux exigences supplémentaires fixées par l’intermédiaire de l’organe de direction suprême de ce projet, le comité de pilotage et de suivi pour la construction de ce stade, au sein duquel il était majoritairement représenté.

 

ii. L’examen de l’ensemble contractuel et la requalification en marché de travaux

Premièrement, la Cour confirme l’interprétation de la juridiction de renvoi selon laquelle le contrat de subvention et la promesse d’achat présentent un lien matériel et temporel (malgré les trois années séparant leur conclusion), et constituent un cadre d’obligations réciproques entre le ministère de l’Éducation et NFŠ. Il s’agit donc effectivement d’un ensemble contractuel.

En effet, le contrat de subvention comporte une obligation à la charge de l’État d’octroyer la subvention prévue ainsi qu’une obligation à la charge de NFŠ de construire le stade national de football slovaque conformément aux conditions spécifiées par le ministère de l’Éducation et de permettre à la Fédération slovaque de football d’en utiliser une partie.

La promesse d’achat établit quant à elle, au bénéfice de NFŠ, une option unilatérale de vente correspondant à une obligation pour l’État d’acheter le bâtiment construit.

 

Deuxièmement, de manière générale, on rappellera en synthèse que la requalification d’un contrat ou d’un ensemble contractuel en tant que marché public pourra être prononcée par la juridiction compétente si deux conditions cumulatives sont remplies :

  • Le contrat (ou l’ensemble de contrats) a pour objet de répondre au besoin d’un (ou plusieurs) pouvoir(s) adjudicateur(s) : en matière de travaux, cette condition est qualifiée par l’existence d’une influence déterminante sur la nature ou la conception de 〖l^′ ouvrage〗^2 ;
  • L’existence d’une contrepartie onéreuse à la réponse de ce besoin (caractère synallagmatique du contrat).

 

Troisièmement, la Cour de justice s’est livrée à l’analyse de ces deux conditions s’agissant de l’ensemble contractuel résultant de la promesse d’achat et de la convention de subvention.

D’abord, s’agissant du premier critère de l’influence déterminante : les juges soulèvent que l’ouvrage devait être construit selon les spécifications formulées par le ministère de l’Éducation, ce qui pourrait traduire, sous réserve de vérifications à opérer par la juridiction de renvoi, une influence déterminante de la personne publique sur le stade à construire.

Ensuite, s’agissant de la seconde condition de l’onérosité, la Cour rappelle dans l’affaire commentée que :

   « 44 D’une part, selon la jurisprudence de la Cour, l’expression « à titre onéreux » désigne un   contrat par lequel chacune des parties s’engage à réaliser une prestation en contrepartie   d’une autre. Le caractère synallagmatique du contrat est ainsi une caractéristique essentielle   d’un   marché public, qui se traduit obligatoirement par la création d’obligations juridiquement   contraignantes pour chacune des parties au contrat, dont l’exécution doit pouvoir être réclamée en   justice (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2020, Tax-Fin-Lex, C367/19, EU:C:2020:685, points 25   et 26 ainsi que jurisprudence citée).

   45 À cet égard, il convient de relever que, lorsqu’un contrat comporte une obligation d’achat par un   pouvoir adjudicateur sans qu’une obligation de vente ne pèse sur son cocontractant, cette   absence d’obligation de vente ne saurait nécessairement suffire pour exclure le caractère   synallagmatique de ce contrat et, partant, l’existence d’un marché public, une telle conclusion ne   pouvant être, le cas échéant, atteinte qu’à la suite de l’examen de l’ensemble des éléments   pertinents. »

L’appréciation du caractère onéreux résulte donc d’une analyse casuistique à laquelle s’est livrée la CJUE.

A l’issue de cette étude, la Cour estime ainsi que l’ensemble contractuel présente un caractère synallagmatique, et qu’il est donc conclu à titre onéreux, dès lors que :

  le ministère de l’Éducation s’est engagé à verser à son cocontractant une subvention en   contrepartie de la réalisation de l’ouvrage.

  L’intérêt économique de la personne publique est également caractérisé par le fait que le transfert   de la propriété du stade à des tiers est subordonné au consentement préalable écrit de l’État, lui   conférant, en substance, un droit de préemption sur l’ouvrage.

  La promesse d’achat constitue une garantie contre les risques commerciaux pour la société NFŠ puisqu’« en s’engageant à acheter ce stade à la demande de NFŠ, le pouvoir adjudicateur a assumé l’intégralité des risques en cas d’échec économique de l’ouvrage ».

 

Partant, la Cour a qualifié la promesse d’achat et la convention de subvention en cause de marché public de travaux, dès lors que l’ensemble « crée des obligations réciproques entre cet État et cet opérateur économique, qui incluent l’obligation de construire ce stade conformément aux conditions spécifiées par ledit État ainsi qu’une option unilatérale au bénéfice dudit opérateur économique correspondant à une obligation pour le même État d’acheter ledit stade, et octroie au même opérateur économique une aide d’État reconnue par la Commission comme étant compatible avec le marché intérieur ».

 

 

〖^1〗 Décision SA.46530, du 24 mai 2017 (JO 2017, C 354, p. 1).

〖^2〗 CJCE, 25 mars 2010, Helmut Muller Gmbh, C-451/08, point 67.