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Les premières épreuves en perspective des JO ont d’abord lieu devant le juge : Syndicat étudiants vs CROUS de Paris

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Par Yossra ABASSI, Avocate collaboratrice

Le 07/02/2024

CE, 29 décembre 2023, CROUS de Paris, n°488337

 

« 100 euros et deux places pour assister aux épreuves olympiques » : c’est la contrepartie promise par la ministre de l’enseignement supérieur, en octobre 2023 pour dédommager les étudiants au logement réquisitionné pour loger les agents publics mobilisés pour les jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 !

C’est par courriel que les étudiants concernés ont appris la nouvelle.

Le CROUS de Paris a informé les étudiants occupants des résidences universitaires d’Ile-de-France que 7% des résidences franciliennes allaient être réquisitionnées pour accueillir le personnel mobilisé pour l’organisation et la bonne tenue des JO 2024.

Exceptionnellement, le droit d’occupation du logement des étudiants concernés et bénéficiant d’un renouvellement de logement prendra fin pour cette année, le 30 juin 2024.

Compte tenu des inquiétudes exprimées par les étudiants, le sénateur M. Pierre-Antoine LEVI s’est saisi du sujet pour adresser une question parlementaire, le 25 mai 2023[1] au gouvernement l’invitant à préciser les mesures envisagées pour minimiser les nuisances causées aux étudiants et garantir un relogement effectif sur la période considérée.

Le ministre délégué chargé de la ville et du logement a apporté une réponse en séance publique, le 2 juin 2023[2] en rappelant d’abord le contexte : « près de 30 % des étudiants résidant dans les logements des Crous quittent définitivement leur hébergement, de sorte que ces chambres peuvent être proposées à de nouveaux étudiants pour la rentrée suivante. En Île-de-France, plus de 7 000 hébergements Crous sont ainsi libérés chaque année entre les mois de juin et de septembre ».

Différents scenarios sont alors envisagés :

  • Pour les résidents qui souhaiteraient continuer d’être hébergés pendant l’été, ceux-ci auraient la garantie de l’être pour le même loyer ;
  • Pour les étudiants qui n’auraient pas l’usage d’un hébergement pendant l’été, ils ne seraient pas redevables des loyers estivaux et bénéficieraient exceptionnellement de la garantie de pouvoir récupérer un logement dès le 1er septembre ;
  • Enfin, pour les nouveaux résidents, une mention spéciale serait visée sur le site de candidature à un logement CROUS.

Le ministre a également annoncé que des missions rémunérées, ainsi que des billets allaient être offerts pour les résidents contraints de libérer leur logement.

Le gouvernement a aussi pris officiellement l’engagement de ne pas « mettre en péril les étudiants et leurs études ».

Ces engagements n’ont toutefois pas suffi.

Par une requête du 15 août 2023, le syndicat Solidaires étudiant-e-s – syndicat de luttes, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, de suspendre l’exécution de la décision par courriel de réquisitionner et d’affecter les logements des résidences universitaires de Paris à l’accueil des volontaires et des partenaires des jeux olympiques pour la période courant du mois de juillet 2024 au mois de septembre 2024 et de consentir un droit d’occupation au bénéfice des étudiants pour l’année 2024 avec un terme au 30 juin 2024.

Le juge des référés a rendu une ordonnance de suspension le 31 août 2023[3] considérant que les moyens tirés de l’incompétence de l’auteur de la décision, du détournement de pouvoir et de l’erreur manifeste d’appréciation, étaient de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision.

Un pourvoi en cassation est formé devant le Conseil d’Etat par le CROUS de Paris.

Le Conseil d’administration du CROUS de Paris a adopté postérieurement au pourvoi, une délibération en date du 6 novembre 2023 pour fixer les modalités de mise à disposition des logements et de relogement des étudiants.

Ladite délibération devenant exécutoire, le pourvoi perdait, en tout état de cause, son objet et devenait donc irrecevable.

Dans ses conclusions[4], le rapporteur public, Monsieur Raphaël CHAMBON, invitait toutefois le juge, compte tenu des enjeux et du contexte, à surmotiver sa décision pour clarifier l’état du droit notamment dans une perspective d’anticipation d’éventuels recours contre ladite délibération.

Ainsi, de manière très pédagogique, la décision du Conseil d’Etat rappelle en premier lieu les missions du CROUS définies par le code de l’éducation[5] et la mission de service public dont sont investis les centres régionaux.

La question qui se posait en l’espèce, était donc de savoir si le CROUS pouvait limiter au 30 juin 2024 le droit d’occupation des résidents.

Les résidents sont liés par un « contrat de location »[6] tout à fait particulier, puisqu’ils s’acquittent d’une redevance d’occupation[7], précaire, à l’instar des autorisations d’occupation du domaine public.

Le Conseil d’Etat considère en l’espèce que « si, en vertu des dispositions de l’article L. 822-1 du code de l’éducation, le réseau des œuvres universitaires a pour mission de contribuer à assurer aux étudiants une qualité d’accueil et de vie propice à la réussite de leur parcours de formation, notamment en matière de logement, aucune disposition législative ne fait obstacle à ce qu’un centre régional des œuvres universitaires et scolaires prévoie que la mise à disposition de logements étudiants, dont la durée de location ne peut excéder un an, prenne fin le 30 juin, ce qui correspond, en règle générale, à la fin de l’année de formation dispensée dans les établissements d’enseignement supérieur ».

En d’autres termes, aucune disposition ne fait obstacle au relogement des étudiants bénéficiant d’un logement universitaire, au sein d’une autre résidence.

En second lieu, l’article L.631-12-1 du CCH dispose que « par dérogation à l’article L. 631-12, le gestionnaire d’une résidence universitaire qui n’est pas totalement occupée après le 31 décembre de chaque année peut louer les locaux inoccupés pour des séjours d’une durée inférieure à trois mois s’achevant au plus tard le 1er octobre de l’année suivante, particulièrement à des publics reconnus prioritaires par l’Etat au sens de l’article L. 441-1 ».

Ces dispositions constituent une base légale suffisante pour permettre au CROUS de Paris de louer les logements des résidences inoccupés pour la période des JO puisque la location visée par cet article n’est pas réservée aux seuls publics reconnus prioritaires[8]

Depuis lors, le CROUS de Paris a précisé les modalités de mise en œuvre de ces réquisitions, à retrouver sur son site internet[9] : sont concernés par ce dispositif 4 résidences[10] et 1251 logements !

 

 

 

[1] Question de M. Levi Pierre-Antoine, 25 mai 2023, page 3311

[2] Réponse du Ministère auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement, 2 juin 2023, page 4705

[3] TA de Paris, juge des référés, 31 août 2023, n° 2319295

[4] Conclusions du rapporteur public de la décision commentée, Monsieur Raphaël CHAMBON

[5] Articles L.822-1 ; R.822-1 ; R.822-2 ; R.822-9 du code de l’éducation

[6] CE, 1 mars 1995, Commune de Saint-Martin d’Hères, n°138473

[7] CAA Bordeaux, 16 mai 2017, n°15BX01592

[8] Article L.441-1 du CCH (personnes en situation de handicap, personnes mal logées, personnes reprenant une activité après une période de chômage de longue durée, personnes exposées à des situations d’habitat indigne …)

[9] CROUS de Paris, Hébergement JO 2024 : accompagnement de nos résidents

[10] Résidence Francis de Croisset (18e arrondissement), 396 places – Résidence Poissonniers (18 e arrondissement), 283 places – Résidence Nicole Reine Lepaute (13 e arrondissement), 207 places – Résidence Jourdan (14 e arrondissement), 365 places.