Par Marie BLANDIN, Avocate collaboratrice
Le 29/06/2023
Désormais, plus de doute, l’assignation en référé-expertise délivrée par le maître d’ouvrage aux constructeurs ne sera plus source d’appels en garantie innombrables et précautionneux !
En effet, tandis que la Cour de cassation avait opéré un revirement de jurisprudence très attendue aux termes d’un arrêt rendu le 14 décembre 2022 (Cour de cassation, Chambre civile 3, 14 décembre 2022, 21-21.305, Publié au bulletin), la Haute Cour de justice confirme sa position aux termes d’un arrêt rendu le 11 mai dernier (Cour de cassation, Chambre civile 3, 11 mai 2023, 21-24.967, Inédit).
En application des dispositions de l’article 2224 du Code Civil, le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant se prescrit par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Or, la mise en application de ces dispositions a longtemps conduit les praticiens du droit, à la lumière de la jurisprudence, à considérer que le point de départ du délai de recours d’un constructeur contre un autre constructeur, ou son sous-traitant, était la date à laquelle l’entrepreneur principal avait été assigné en référé-expertise par le maître de l’ouvrage (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-25.915, publié ; Civ. 3e, 1 oct. 2020, n° 19-21.502).
Dès lors, même lorsque les constructeurs avaient interrompu les délais de prescription en formant une demande d’expertise contre les autres intervenants, leur délai d’action (de cinq ans qui recommence à courir à compter du jour où la mesure d’expertise a été exécutée) pouvait avoir expiré avant le délai de dix ans courant à compter de la désignation de l’Expert, pendant lequel le maître d’ouvrage pouvait lui encore agir en réparation de ses préjudices.
En d’autres termes, alors que le maître d’ouvrage continuait de bénéficier de la garantie décennale, à compter de l’ordonnance désignant l’expert judiciaire, soit un délai de dix ans pour agir au fond, le constructeur ou le sous-traitant quant à lui se trouvait obligé d’agir en garantie dans les cinq ans de l’assignation en référé-expertise délivrée par ledit maître de l’ouvrage.
Cette superposition maladroite des délais conduisait les constructeurs, à titre conservatoire et préventif, à assigner sur le fondement présupposé d’une action indemnitaire engagée, dans une instance distincte, par le maître de l’ouvrage.
Toutes ces précautions ont causé la multiplication des recours exercés par anticipation entre constructeurs causant la perte, d’une part d’une bonne administration de la justice, et d’autre part de la sécurité juridique des constructeurs.
C’est dans ces circonstances que la 3ème chambre de la Haute Cour de justice a revu sa position historique, opérant un revirement de jurisprudence peu espéré mais très attendu par les praticiens, en décembre 2022 (Cour de cassation, Chambre civile 3, 14 décembre 2022, 21-21.305, Publié au bulletin).
Ce revirement de jurisprudence ne fait désormais plus de doute, cette position ayant été très récemment confirmée par la Cour de cassation, considérant que le délai d’action en garantie des constructeurs ne commence à courir qu’en cas d’une demande de reconnaissance d’un droit (Cour de cassation, Chambre civile 3, 11 mai 2023, 21-24.967, Inédit).
En effet, la troisième chambre de la Cour de cassation cite expressément la position adoptée aux termes de l’arrêt rendu le 14 décembre 2022, et confirme sans équivoque qu’une assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l’ouvrage à un entrepreneur, non assortie d’une demande de reconnaissance d’un droit, fût- ce par provision, ne fait pas courir le délai de prescription de l’action en garantie de ce constructeur contre d’autres intervenants à l’acte de construire.
En d’autres termes, soyez vigilants, si l’assignation en référé-expertise comporte également une demande de provision, celle-ci fait valablement courir la prescription quinquennale !