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janvier
2024
L’indemnisation du cocontractant d’une personne publique en cas de résiliation pour invalidité du contrat

Par Alizée GEBRE, Avocate collaboratrice

Le 23/01/2024

 

L’affaire commentée porte sur l’indemnisation du titulaire d’un marché public de location – en l’espèce d’un photocopieur – résilié par la personne publique cocontractante en raison de l’invalidité du contrat (CE, 13 octobre 2023, Société CM-CIC Leasing Solutions, req. n°461079). Le Conseil d’Etat était interrogé sur la possibilité pour le cocontractant d’être indemnisé de la part non amortie du photocopieur et de son coût d’achat au titre des dépenses utiles.

Cette décision permet à la Haute juridiction d’ancrer sa jurisprudence sur le régime général de l’indemnisation du cocontractant d’une personne publique en cas de résiliation pour invalidité du contrat (1.) et de préciser le périmètre de la notion de dépenses utiles en matière de marchés publics (2.).

 

  1. L’indemnisation du cocontractant d’une personne publique dont le contrat a été résilié pour invalidité

Rappelons tout d’abord que la possibilité – exercée en l’espèce – pour une personne publique de résilier unilatéralement un contrat administratif au motif de son illégalité (cas spécifique de résiliation distinct de celui pour motif d’intérêt général) a été consacré par le Conseil d’Etat en 2020 (Conseil d’Etat, 10 juillet 2020, Société négoce équipements, req. n°430864). Cette jurisprudence a ensuite été circonscrite aux hypothèses où la personne publique ne peut pas faire usage de son pouvoir de modification unilatérale pour remédier à l’irrégularité (CE, 8 mars 2023, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour les énergies et les réseaux de communication (SIPPEREC), req. n° 464619).

La création de ce cas spécifique de résiliation s’accompagne de la mise en place d’un régime spécifique également d’indemnisation du cocontractant de la personne publique. A cet égard et pour mémoire, le titulaire d’un marché public dont le contrat a été résilié pour invalidité peut ainsi prétendre :

  • à être indemnisé sur le terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d’effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il été engagé ( avant la prise d’effet de la résiliation les conséquences financières étant régies par l’application du contrat),
  • à être indemnisé sur le terrain quasi-délictuel, dans le cas où l’irrégularité du contrat résulte d’une faute de l’administration, et sous réserve d’un partage de responsabilité, du dommage imputable à la faute de cette dernière.

Ce régime d’indemnisation n’est pas sans rappeler celui établi, de longue date, aux contrats administratifs entachés de nullité, pour lesquels le cocontractant de l’administration peut prétendre, sur le terrain quasi-contractuel, au remboursement des dépenses utiles (CE 19 avr. 1974, Sté entreprise Louis Segrette, Lebon T. 1052).

La jurisprudence susvisée relative à ce cas spécifique de résiliation, dont l’affaire commentée en est une nouvelle application, donne ainsi lieu à l’indemnisation du cocontractant sur les mêmes bases que celles liées à l’annulation du contrat

Dans ce cadre, la détermination des dépenses utiles à la personne publique dont le titulaire demande le remboursement revêt une importance déterminante.

 

  1. Les contours de la notion de dépenses utiles en marché public

Le Conseil d’Etat reprenant le considérant de principe de la décision du 17 juin 2022 (CE, 17 juin 2022, société Lacroix City Saint-Herblain, req. n°454189) rappelle le périmètre des dépenses utiles dans le cadre des contrats de marché public :

  • sont inclues, « à l’exclusion de toute marge bénéficiaire, les dépenses qui ont été directement engagées par le cocontractant pour la réalisation des fournitures, travaux ou prestations destinés à l’administration. Ne peut être prise en compte que la quote-part des frais généraux qui contribue à l’exécution du marché et est à ce titre utile à la personne publique » ;
  • sont exclus, « les frais de communication ainsi que, dans le cas où le contrat en cause est un marché public et sauf s’il s’agit d’un marché de partenariat, les frais financiers engagés par le cocontractant ».

De manière générale, les contours de la notion de dépense utile avaient été dessinés par le Président Dacosta dans ses conclusions sur la décision de section Decaux : « la notion de dépenses utile (…) englobe non seulement les dépenses directes engagées au profit de l’administration, mais aussi les dépenses indirectes , charges diverses et frais généraux. L’indemnité à laquelle donne droit l’application du principe de l’enrichissement sans cause est limitée au profit que la collectivité a retiré des prestations accomplies, mais ce profit doit être calculé en intégrant l’ensemble des dépenses que la collectivité a ainsi évité d’engager »( concl. B. Dacosta sur CE, 10 avril 2008, société Decaux, req. n°244950 cité dans concl. M. Le Corre sur CE, 17 juin 2022, société Lacroix City Saint-Herblain, req. n°454189) .

La rapporteure publique Mirelle Le Corre, dans ses conclusions sur la décision du 17 juin 2022, plaidait à cet égard en faveur d’une appréciation de la notion de dépenses utiles « au cas par cas », « susceptible de dépendre du type de contrat ».

La présente affaire témoigne de l’approche différenciée de la notion de dépenses utiles selon le type de contrat en cause. Le Conseil d’Etat précise ainsi que le titulaire d’un marché public ne peut pas être indemnisé au titre des dépenses utiles de la valeur non amortie du bien qu’il loue – et qu’il a donc préalablement acquis à cette fin – mais dont il demeure propriétaire, au contraire de sa jurisprudence  rendue en matière de concessions de service public.

Cette différence s’explique aisément. Certes en cas de résiliation d’un marché public de louage d’un bien, il est possible qu’au moment de la résiliation, le titulaire du marché n’ait pas amorti la valeur du bien, à l’instar d’un concessionnaire de service public. Néanmoins, dès lors qu’il demeure propriétaire du bien, le titulaire conserve la possibilité de continuer à exploiter et valoriser ce bien (par exemple en le louant à nouveau ou en le cédant). Aussi, il pourra in fine amortir son investissement initialement affecté au marché public résilié dans le cadre d’autre contrats.

A contrario, en matière de concession de service public, le concessionnaire doit être indemnisé de la valeur non amortie des biens de retour. En effet, les biens nécessaires au fonctionnement du service public qui constituent les biens de retour, même acquis ou réalisés par le concessionnaire, appartiennent à l’autorité concédante ab initio et lui font retour au terme – anticipé ou non – du contrat. Aussi, en cas de résiliation, le concessionnaire est susceptible de ne pas avoir amorti son investissement alors que l’autorité concédante pourra jouir du bien. La solution serait différente en cas de bien de reprise, ne revenant pas à l’autorité concédante à la fin normale ou anticipée de la concession

Le Conseil d’Etat précise également que le coût d’achat d’un bien ne relève pas de la catégorie des frais financiers contrairement à la qualification apportée par la Cour administrative d’appel, dès lors que pour être qualifié de frais financier, il aurait fallu démontrer que l’achat du matériel avait donné lieu à un emprunt. En tout état de cause, le requérant n’aurait pas eu plus de succès en demandant l’indemnisation de frais liés à un emprunt. Selon le même raisonnement exposé supra, les frais financiers permettant l’acquisition d’un bien restant la propriété du titulaire à l’issue normale ou anticipée du marché ne peuvent être considérés comme utiles à la personne publique.

 

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